Vers une possible normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite : enjeux et perspectives
Les relations entre Israël et l’Arabie saoudite, longtemps marquées par la méfiance et les divergences idéologiques, semblent évoluer sous l’influence des transformations géopolitiques du Moyen-Orient. Alors que les tensions historiques liées à la question palestinienne et à la posture de la Ligue arabe persistent, des signes de coopération pragmatique et d’intérêts communs émergent, ouvrant la voie à une possible normalisation entre ces deux puissances régionales.
Depuis la création de l’État d’Israël en 1948, l’Arabie saoudite s’est positionnée en leader de l’opposition arabe au sionisme. En tant qu’auteur de l’Initiative de paix arabe de 2002, Riyad a conditionné toute normalisation avec Israël à l’établissement d’un État palestinien dans les frontières de 1967. Malgré cette ligne officielle, une coopération discrète a existé au fil des années, notamment en matière de renseignement et de sécurité, principalement en raison de leur ennemi commun : l’Iran.
En avril dernier, l’Arabie saoudite aurait contribué au partage de renseignements cruciaux avec Israël, marquant un exemple significatif de coordination. Cette collaboration, bien qu’informelle, reflète une convergence stratégique face aux ambitions nucléaires et régionales de Téhéran.
La signature des accords d’Abraham en 2020, qui ont vu Israël établir des relations diplomatiques avec plusieurs États arabes, a redéfini les alliances dans la région. Toutefois, l’Arabie saoudite, gardienne des lieux saints de l’islam, s’est abstenue de rejoindre ces accords, mettant en avant sa sensibilité à l’opinion publique et à la question palestinienne.
Le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) a exprimé une ouverture à la normalisation tout en adoptant une position mesurée. Lors de récents sommets, il a condamné ce qu’il a qualifié de « génocide » contre les Palestiniens, tout en appelant à une désescalade entre Israël et l’Iran. Ces déclarations traduisent l’équilibre délicat que Riyad cherche à maintenir entre ses ambitions de modernisation et ses responsabilités régionales.
Trois facteurs principaux pourraient favoriser un rapprochement entre Israël et l’Arabie saoudite :
La menace iranienne : L’Iran représente une préoccupation majeure pour les deux pays, qu’il s’agisse de ses avancées nucléaires ou de son influence régionale. Un partenariat avec Israël pourrait renforcer la sécurité de l’Arabie saoudite et consolider un front commun contre Téhéran.
La modernisation économique : Sous la Vision 2030, MBS ambitionne de diversifier l’économie saoudienne, en misant sur la technologie et l’innovation. La collaboration avec Israël, reconnu pour son secteur technologique avancé, pourrait accélérer cette transition.
La médiation américaine : Washington joue un rôle clé dans la promotion d’une normalisation. L’administration Biden, tout comme Donald Trump lors des accords d’Abraham, cherche à renforcer les alliances entre Israël et ses voisins arabes par le biais de garanties de sécurité et d’incitations économiques.
Malgré ces perspectives prometteuses, des obstacles significatifs subsistent. La question palestinienne reste un point de blocage majeur. Riyad a maintes fois souligné que toute normalisation devait être conditionnée à des progrès tangibles vers une solution à deux États. Ignorer cette exigence risquerait de compromettre la légitimité de l’Arabie saoudite dans le monde musulman et de provoquer des tensions internes.
De plus, une partie de la population saoudienne, influencée par des décennies de discours anti-israéliens, pourrait résister à un rapprochement. Bien que MBS ait consolidé son pouvoir, forcer une normalisation sans préparation suffisante de l’opinion publique pourrait exacerber les divisions internes.
Plutôt qu’une normalisation immédiate, les relations entre Israël et l’Arabie saoudite pourraient progresser à travers des initiatives graduelles. Une collaboration économique accrue, des projets technologiques conjoints ou encore des partenariats dans le domaine de la sécurité pourraient constituer des étapes intermédiaires, posant les bases d’un accord formel.
Si une normalisation venait à se concrétiser, ses implications seraient profondes. Elle renforcerait l’isolement de l’Iran, consoliderait l’influence des États-Unis dans la région et stimulerait les ambitions économiques de l’Arabie saoudite. Toutefois, réussir une telle transition nécessitera une gestion habile des sensibilités politiques et religieuses, notamment sur la scène intérieure saoudienne.
Les relations entre Israël et l’Arabie saoudite se trouvent à un carrefour décisif. Entre pragmatisme et principes, les deux nations ont beaucoup à gagner d’une coopération accrue. La prochaine décennie pourrait être marquée par des évolutions historiques, redéfinissant les alliances et l’équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient.
David Lévy