Pourquoi la manifestation de Jérusalem est embarrassante pour Netanyahou.
La Droite nationaliste israélienne, en particulier le Likoud, n’a jamais eu de véritable tradition de protestation, surtout pas depuis son arrivée au pouvoir en 1977. Preuve en est: au summum des manifestations contre les accords d’Oslo, les opposants au processus parvenaient à rassembler quelques milliers de personnes sur la place Tsion au cœur de Jérusalem (comme le 5 octobre 1995, un mois avant l’assassinat de Rabin). Au paroxysme de la protestation contre l’évacuation du Gouch Katif, ils étaient au maximum quelques dizaines de milliers presque exclusivement issus du sionisme religieux à se rassembler à Kfar Maïmon, en juillet 2005. Rien à voir, par exemple, avec le volume impressionnant des manifestations de la Gauche en 1982 après Sabra et Chatila ou, en 2011, lors de la protestation sociale du boulevard Rothschild et enfin ces derniers mois avec les manifestations anti-réforme du boulevard Kaplan !
Voilà pourquoi la manifestation dite « du Million », ce jeudi 27 avril à Jérusalem, marque un tournant et une mobilisation sans précédent pour ce public nationaliste. Selon la police, ils étaient plus de 200 000 à être descendus dans la rue ! Selon les organisateurs, ils étaient entre 400 et 500 000 ! De facto, jamais la Droite nationaliste n’avait réussi une telle démonstration de force. D’une certaine manière, les partisans de la réforme doivent une fière chandelle aux militants du centre-gauche opposés à cette démarche. Car s’ils sont descendus dans la rue, ce jeudi soir, c’est d’abord parce qu’ils ont compris qu’en manifestant, on peut aussi modifier le cours des choses !
Au lendemain de ce rassemblement, voici plusieurs réflexions et constatations à chaud :
1. Cette manifestation est l’expression d’une colère et d’une frustration
Au cours des quatre derniers mois, la Droite israélienne au pouvoir a laissé le contrôle de la rue aux opposants à la réforme judiciaire. Chaque samedi soir, et même en pleine semaine, les « anti-réformes » ont fait du boulevard Kaplan à Tel Aviv leur immense terrain de contestation. Dans un premier temps, les militants de la Droite ont laissé faire, estimant que leur victoire électorale, et leur confortable majorité de 64 députés, suffiraient à faire la différence. Ensuite, ils se sont enveloppés dans un mutisme de stupéfaction et ont pris le maquis avec l’étrange sentiment d’être, face aux élites de centre-gauche, des citoyens de seconde zone !
Mais les opposants à la réforme sont allés trop loin. Aidés d’une presse et de médias entièrement mobilisés à leurs cotés, ils ont exagéré, multipliant des slogans totalement déphasés sur le « glas de la démocratie israélienne » et sur la « dictature ». Ils ont donné aux partisans du projet de Yariv Levin le sentiment de se retrouver sur le banc des accusés. Pire: de mettre en péril l’avenir d’Israël. C’en était trop !
Le premier réveil est venu de la base électorale nationaliste. Il s’est produit spontanément le 27 mars, au lendemain du limogeage du ministre de la Défense Yoav Galant. Le second est intervenu ce jeudi, avec cette impressionnante mobilisation. Pour la première fois depuis les élections, les électeurs de la Droite israélienne ont relevé la tête et clamé fermement et sans complexe, leur message. Et ce message est clair: « Nous sommes la majorité. Nous voulons promouvoir la réforme. Les opposants ont perdu les élections et ils restent minoritaires! »
2. Cette forme d’hypocrisie des opposants à la réforme…
L’ampleur de la manifestation de Jérusalem a probablement déstabilisé certains des opposants les plus farouches à la réforme. Sinon comment expliquer les menaces qu’ils ont proféré au lendemain de ce rassemblement? « Si c’est la tendance dominante, nous n’avons pas à poursuivre les pourparlers à la Présidence de l’Etat et nous amplifierons notre opposition ». Etonnant ! Les « antis-réforme » n’ont jamais cessé leurs manifestations de protestation à Kaplan, y compris lorsque le président Hertzog a entamé ses consultations en vue d’un compromis. Ils l’ont fait dans le but de mettre la pression sur la coalition. Mais lorsque c’est la coalition au pouvoir qui descend dans la rue, il s’agit d’une provocation qui risque de mettre en péril les pourparlers !! Un double langage qui n’honore pas les opposants à la réforme…
3. Le dilemme de Benjamin Netanyahou
Que va faire désormais Benjamin Netanyahou ? Officiellement, le Premier ministre s’est félicité de l’ampleur de la manifestation ! « Vous êtes des citoyens de premier plan », a-t-il lancé dans un tweet aux supporters de la réforme réunis autour de la Knesset. Mais l’impressionnante démonstration de force place désormais le Premier ministre face à un dilemme cornélien: c’est lui qui a gelé la réforme pour donner la priorité aux pourparlers de la présidence de l’Etat, en vue d’un compromis.
S’il poursuit le gel de la réforme, il risque de s’attirer les foudres de son aile droite au Likoud, mais aussi des partis Sionisme-religieux et Force Juive. Si, par contre, il va de l’avant, comme l’ont réclamé de nombreux manifestants, alors il se coupera de la partie modérée de son électorat traditionnel, celle qui aspire à une réforme consensuelle. Toutefois, si le Premier ministre retrouve ses reflexes politiques aiguisés, il lui reste une autre option : considérer que la manifestation du Million, le place en position de force pour contraindre l’opposition à faire plus de concessions sur la voie d’un compromis. Certains des manifestants ont exprimé ce souhait : « Nous sommes venus afin que le Premier ministre ne craigne pas de mettre en avant la politique pour laquelle nous l’avons élu! » Quoi qu’il advienne, Benjamin Netanyahou devra se montrer prudent s’il ne veut pas voir son leadership, au sein du Likoud, hypothéqué. Il en sera d’ailleurs de même pour Yoav Galant et pour les plus mitigés des élus Likoud: la manifestation de Jérusalem a renforcé les éléments plus radicaux de la coalition et a affaibli les plus nuancés.
4.L’absence des orthodoxes
Les partis orthodoxes Judaïsme de la Torah et Chass sont parti prenante de la coalition gouvernementale. Ils sont même aujourd’hui plus intéressés par la mise en application de la réforme que de nombreux élus Likoud ou sionistes-religieux. Et pour cause : le vote de la loi de contournement qui accorde le dernier mot à la Knesset, au détriment de la Cour Suprême est, pour eux, déterminant car il neutralisera d’un seul coup toutes les menaces d’enrôlement des élèves des Yéchivot (instituts talmudiques), menaces que la Cour Suprême fait peser à très court terme.
La logique aurait donc voulu que les partis orthodoxes soient massivement présents jeudi soir à Jérusalem. Dans le passé, en 2013, par exemple, cette communauté avait fait descendre dans la rue plusieurs centaines de milliers de manifestants justement pour protester contre le décret de la Cour Suprême visant à annuler l’exemption de service militaire pour les haredim. Mais, cette fois-ci, les grands rabbins orthodoxes sont restés muets. Ils ont interdit aux élèves des Yéchivot de quitter l’étude de la Torah pour participer à la manifestation, tout en accordant une liberté d’action aux adultes qui souhaiteraient prendre part à la protestation. C’est regrettable car cela prouve que la communauté orthodoxe ne mesure pas encore que cette protestation de la Droite est destinée, au bout du compte, à consolider le caractère juif de l’Etat d’Israël. La communauté orthodoxe peut avancer de nombreux prétextes pour expliquer ou justifier son absence à cette manifestation. Il n’en demeure pas moins qu’en adoptant une telle attitude de passivité, les orthodoxes scient la branche sur laquelle ils sont assis.
Extraits – Source : i24news.tv – Par Daniel Haïk
https://www.i24news.tv/fr/actu/analyses/1682682207-la-manifestation-de-jerusalem-une-demonstration-de-force-qui-embarrasse-netanyahou
Article très intéressant. Étant française je n’ai pas vraiment mon mot à dire mais je trouve que Netanyahou a bien fait de geler la réforme. Il s’est montré en cela plus démocrate que Macron. Il faut maintenant ouvrir une porte pour une négociation et trouver un consensus. D’après ce que j’entends de mes amis israéliens qui ne sont pas du likoud, il était urgent de limiter les pouvoirs de la cour suprême.
Non madame. Il s’est simplement laissé impressionner par la violence d’une minorité radicalement montée contre la démocratie et incapable de respecter le résultat des élections. Nous vivons le coup d’Etat permanent du juge ignorant (il avoue lui-même n’avoir aucune notion de droit hébraïque) Aaron Barak, qui torpille les décisions des élus selon ses propres opinions et souvent dans l’irrespect total de la loi.
Sans compter que les opposants ne sont pour aucun compromis, c’est tout simplement la suite ou la reprise des manifestations contre Netanyahou qui avaient cessé quand Beneth avait pris le pouvoir.