l’Affiche Rouge décryptée
À l’occasion de l’entrée de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon ce mercredi, un regard approfondi sur l’affiche qui a rendu célèbre le résistant arménien et son épouse s’impose. « Ils étaient 20 et 3 quand les fusils fleurirent », chantait Léo Ferré en 1961, reprenant ainsi un poème de Louis Aragon. Ce morceau a contribué à la notoriété de l’interprète et compositeur ainsi qu’à celle de l’affiche inspirée par le poète en 1955. Connu sous le nom d’« Affiche Rouge », ce tract de propagande de l’Allemagne nazie a élevé au statut de héros ceux que l’on appelle désormais le « groupe Manouchian ». Sur cette affiche figurent dix des vingt-trois résistants qui ont été exécutés, vingt-deux fusillés au Mont Valérien le 21 février 1944, tandis qu’Olga Bancic a été guillotinée le 10 mai 1944 à Stuttgart.
Missak Manouchian et son épouse Mélinée sont précisément les deux figures qui seront honorées au Panthéon ce mercredi. L’occasion de revisiter les origines de ce morceau de papier qui a été largement diffusé dans les rues de Paris pendant l’Occupation et qui est désormais un élément incontournable des manuels scolaires traitant de la Seconde Guerre mondiale. Cette affiche est mémorable avant tout parce qu’elle est conçue pour l’être. C’est l’essence même de la propagande visuelle : marquer les esprits, voire les persuader. « Tous les éléments de la propagande nazie en France y sont présents : le rouge et le noir, le rouge dominant faisant référence à la fois au communisme et au sang versé », explique Marie Puren, enseignante-chercheuse à l’EPITA. Cette image constitue également un appel clair à l’antisémitisme, à la xénophobie et à l’anticommunisme, associant résistance et criminalité.
C’est aussi une manière de dissuader d’autres révoltés de prendre les armes, alors que l’armée allemande est en difficulté. Paris sera libéré quatre mois après l’exécution des membres du groupe Manouchian. Pourtant, le message que l’Allemagne nazie a voulu transmettre à travers cette affiche est à l’opposé de celui reçu par la population. « La population lui a plutôt rendu hommage, l’affiche a même suscité la sympathie des passants », rapporte Marie Puren. Si ces résistants, en majorité étrangers et juifs, sont désormais des figures emblématiques de l’histoire, c’est surtout grâce à la légende qui les entoure. « C’est la chanson qui a rendu l’affiche populaire », souligne Annette Wieviorka. D’ailleurs, elle porte le nom d’« affiche rouge » car c’est le titre que lui a donné Léo Ferré.
Au fil du temps, le groupe Manouchian est devenu un symbole de l’intégration des étrangers en France, morts pour la France alors qu’ils n’étaient pas français. Cette affiche incarne ainsi l’idée qu’un immigré peut enrichir et magnifier les idéaux de la société française jusqu’à mourir pour eux. Elle est devenue un symbole de la résistance étrangère en France, présente dans les manuels scolaires et dans les expositions sur l’histoire de l’immigration.
Pourtant, cette affiche, devenue emblématique, a également contribué à effacer certains membres du groupe Manouchian de la mémoire collective. Certains, comme Celestino Alfonso, Marcel Rajman, Thomas Elek ou Rino Della Negra, ont failli tomber dans l’oubli. Heureusement, il reste des traces de leur histoire dans leur ville natale. Une plaque commémorative rappelant les noms des vingt-deux camarades de Missak Mouchian sera également installée à l’intérieur du monument pour préserver leur mémoire.
Déborah Tolédano