La Russie bientôt prise au piège de son jeu d’équilibriste entre Téhéran et Tel-Aviv ?
Lorsque Benjamin Netanyahu est redevenu Premier ministre israélien à la fin de l’année dernière, certains observateurs se sont demandé si sa relation personnelle avec Vladimir Poutine ne faciliterait pas un rapprochement avec Moscou, malgré le conflit russo-ukrainien. Cela semble toutefois peu probable à l’heure où Moscou et Téhéran renforcent leurs liens au sujet de l’Ukraine et où l’Iran semble plus proche que jamais de la fabrication d’une arme nucléaire.
Si l’Iran a dénoncé les informations selon lesquelles les inspecteurs internationaux avaient trouvé de l’uranium enrichi à 84 % – proche du seuil permettant la fabrication d’une arme nucléaire – comme faisant partie d’une « conspiration », cela pourrait d’ores et déjà constituer une ligne rouge pour Israël. Lors de réunions au sommet avec des responsables militaires israéliens le 22 février dernier, M. Netanyahu a indiqué que son pays répondrait par une « action militaire crédible ».
Parallèlement, deux jours plus tard, à l’occasion du premier anniversaire du début de la guerre en Ukraine, le ministre des Affaires étrangères Eli Cohen a réaffirmé « le soutien d’Israël (à) la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine ». Le même jour, Israël a rejoint les 140 autres pays qui ont voté en faveur d’une résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies appelant la Russie à retirer ses troupes d’Ukraine. Tel-Aviv envisagerait également de fournir son système de défense aérienne David’s Sling à Kiev. Cette position contraste fortement avec sa position précédente, dans laquelle il cherchait à équilibrer les liens avec la Russie et les États-Unis, et refusait de se joindre aux sanctions occidentales contre Moscou tout en ne fournissant qu’une aide humanitaire à l’Ukraine.
Relation triangulaire
La Russie est prise dans une relation triangulaire avec l’Iran et Israël dans laquelle le maintien d’un équilibre des intérêts entre les différents pays devient de plus en plus difficile pour le Kremlin. Pour Israël, contrecarrer le programme nucléaire de l’Iran et contrer son influence régionale figure en tête des priorités de sa politique étrangère, comme l’a montré le récent exercice Juniper Oak 23 auquel ont participé les forces américaines et israéliennes. Cet exercice, « le plus important jamais réalisé » entre les deux pays, simulait une attaque contre les installations nucléaires iraniennes.
Pour la Russie, la priorité absolue est d’assurer le succès de son « opération militaire spéciale » en Ukraine et d’empêcher l’expansion du flanc oriental de l’OTAN. Elle se tourne notamment vers l’Iran pour l’aider à atteindre cet objectif. L’année dernière, l’Iran a été l’un des rares pays à soutenir ouvertement la Russie, alors que même la Chine a été obligée de marcher sur une corde raide en soutenant son partenaire stratégique de longue date sans risquer d’être coupée du marché mondial. Le 19 juillet dernier, quelques jours après des révélations sur des achats de drones iraniens destinés au front ukrainien, M. Poutine s’est rendu à Téhéran et a rencontré le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, et le président Ebrahim Raissi, avec lesquels il a discuté du développement de la coopération bilatérale – allant notamment de la signature d’accords bancaires bilatéraux visant à stimuler le commerce par l’utilisation de monnaies locales à la signature d’un protocole d’accord de 40 milliards de dollars entre Gazprom et la National Iranian Oil Company, en passant par l’évocation d’une crypto-monnaie commune adossée à l’or.
Auparavant, les responsables iraniens avaient reproché à la Russie de retarder ses projets de livraison de système de défense aérienne S-300 et de soutenir les sanctions de l’ONU contre l’Iran. Mais les printemps arabe a donné un nouveau souffle aux liens russo-iraniens lorsque les deux pays ont soutenu le régime Assad en Syrie. Tout au long de cette période, la stratégie de politique étrangère de la Russie dans la région était fondée sur le maintien d’une position équilibrée vis-à-vis de tous les acteurs, y compris rivaux, tout en poursuivant ses intérêts. En ce qui concerne l’Iran et Israël, la Russie a suivi une ligne très fine : elle a coopéré avec l’Iran en Syrie, mais dans le même temps, les deux pays n’avaient pas de partenariat stratégique fondé sur une compréhension commune et à long terme des objectifs, des menaces et des intérêts. Simultanément, la Russie entretenait de bonnes relations avec l’ennemi mortel de Téhéran et autorisait les avions israéliens à frapper des cibles iraniennes et du Hezbollah en Syrie.
Quadrature du cercle
Ce jeu d’équilibriste est aujourd’hui menacé, notamment en ce qui concerne Israël et les États du Golfe. L’Arabie saoudite, par exemple, a annoncé une aide de 400 millions de dollars à l’Ukraine lors de la visite du ministre des Affaires étrangères Fayçal ben Farhan à Kiev le 26 février. En outre, tous les États du Golfe ont voté en faveur d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies en février exigeant que la Russie quitte le territoire ukrainien. Alors que Poutine se concentre sur une victoire en Ukraine, rendant les liens avec l’Iran d’autant plus importants pour Moscou, la Russie devra préserver ses relations avec les pays du Moyen-Orient qui considèrent l’Iran comme une menace. Pourtant, la Russie renforce actuellement ses contacts militaires avec l’Iran, alors que des rapports indiquent qu’elle lui fournira bientôt des avions de combat Sukhoi Su-35 de pointe. L’Iran ne fait pas non plus marche arrière en ce qui concerne ses ambitions régionales. Il a continué à enhardir ses mandataires régionaux et envisagerait de fournir des systèmes de défense aérienne à la Syrie après les frappes aériennes israéliennes menées en février.
Il est tout aussi peu probable que les tensions régionales soient apaisées par la conclusion d’un accord nucléaire avec l’Iran. Le président américain Joe Biden a déjà qualifié le plan d’action global conjoint de 2015 de « mort », ce qui signifie que la Russie devra relever un défi encore plus grand pour concilier ses relations avec l’Iran et Israël, car le conflit entre les deux parties devient plus probable. Et cette quadrature du cercle pourrait s’avérer insoluble pour Poutine si Israël attaquait l’Iran et si de nombreux États arabes s’en félicitaient discrètement. Le risque est alors que Moscou ne se retrouve plus, comme il le souhaite, au centre du jeu, mais sur la touche.
Ce texte est la traduction synthétique d’un article publié en anglais sur Diwan, le blog du Carnegie MEC.
Extraits – source : lorientlejour.com Par Nada Ahmed
https://www.lorientlejour.com/article/1330282/la-russie-bientot-prise-au-piege-de-son-jeu-dequilibriste-entre-teheran-et-tel-aviv-.html