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Ils ont voulu nous enterrer mais ils ne savaient pas que nous étions des graines.

Attentats islamistes de janvier 2015 : «Le judaïsme est immortel»

À l’occasion des huit ans de l’attaque terroriste de l’Hyper Cacher par Amedy Coulibaly, le 9 janvier 2015, la journaliste Noémie Halioua se penche sur l’histoire du judaïsme, faite selon elle d’enracinement et d’exils, de tragédies et de miracles.

Il y a huit ans tout juste, Amedy Coulibaly pénétrait dans une supérette casher de la Porte de Vincennes armé d’un fusil d’assaut, d’une Kalachnikov, de deux pistolets-mitrailleurs Skorpion, de deux pistolets Tokarev, d’un gilet pare-balles et de quinze bâtons d’explosif. Quand la caissière lui a proposé de partir avec la caisse du magasin, il lui a répondu : «Tu crois vraiment que je suis venu pour l’argent ? Vous êtes les deux choses que je déteste le plus : vous êtes juifs et français.» Qu’importait l’individualité des victimes, leur âge, leurs convictions intimes, leur parcours de vie, tant qu’elles se confondaient au symbole et au mythe bâtis dans son esprit endoctriné. Comme l’attaque de Charlie Hebdo deux jours plus tôt avait visé la liberté d’expression, comme l’assassinat de la policière Clarissa Jean-Philippe la veille pointait les gardiens de la paix, celle de l’Hyper Cacher ciblait une idée dont la chair n’était qu’une incarnation. Faire couler le sang de «juifs» pour le tueur, c’était amorcer la liquidation du mal qu’ils représentaient pour lui et ses petits copains.

Pour ce soldat revendiqué de l’État islamique, ce cas social devenu criminel, quelques-uns d’entre eux en moins sur cette terre lui paraissait rendre justice aux Musulmans opprimés à travers le monde et à «la Palestine», argument favori des assassins islamistes antisémites, brandi également par Mohammed Merah pour justifier la tuerie de Toulouse. En assassinant quatre innocents, Coulibaly croyait dur comme fer porter sa pierre à l’édifice et soigner le mal par le mal, il y croyait au point de foncer droit vers la mort, de vouloir «mourir en martyr» en l’occurrence sous les balles du Raid et de la BRI après sept heures de siège. L’exact inverse de Lassana Bathily, musulman pieux dont la famille est issue de la même région au Mali, magasinier de la supérette qui a trouvé le courage ce jour-là, au comble de l’horreur, d’aider les otages à se cacher et de renseigner la police pour mettre fin au carnage.

L’histoire juive est faite d’enracinement et d’exils, de tragédies et de miracles. Ce peuple à la fois béni et maudit, numériquement minuscule, a traversé les empires et survécu aux plus grandes civilisations.

Noémie Halioua

Bien entendu, en voulant tuer «du juif», Coulibaly n’a pas inventé l’eau chaude. Son acte s’inscrit dans une longue tradition de persécutions dont les instigateurs ont tous fini par rejoindre les poubelles de l’histoire. Des persécuteurs de juifs pour ce qu’ils sont, antisémites qui passent à l’acte dirons-nous, il y en a eu à toutes les sauces, toutes époques, dans toutes les civilisations : c’est une constante. Dans sa monumentale Histoire de l’Antisémitisme, Léon Poliakov retrace deux millénaires de passion antijuive, de l’antiquité à l’époque moderne, de l’Europe des Lumières à la folie du génocide. Une course à travers les siècles qui donne à voir la perduration de cette obsession spécifique et ses formes sans cesse renouvelées. Coupables de déicide, responsables de la peste noire, empoisonneurs de puits, profanateurs d’hosties, «race» jugée «toxique» mettant en danger la pure souche germanique.

Une histoire qui n’a pas cessé au XXIe siècle, portées désormais par ceux qui s’en carrent le coquillard des boucheries en Syrie, des charniers en Ukraine, des famines au Yémen et qui brandissent l’argument des drames de cette Palestine qu’ils ne sauraient même pas situer sur une carte. Ils ajoutent cet argumentaire aux anciens schémas de pensée, ces vieux fantasmes d’une élite puissante et fortunée, demeurant aveugles aux grandes communautés qui peinent à survivre dans les banlieues populaires comme Sarcelles. Dans La Nouvelle Judéophobie publié en 2002, Pierre-André Taguieff fixe le début de cette nouvelle ère en France avec l’attentat du 3 octobre 1980 contre la synagogue de la rue Copernic : avec quatre morts et des centaines de blessés, c’est le premier attentat qui vise les juifs en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si l’extrême droite est un temps évoqué, l’enquête attribue finalement l’attentat au Front populaire de libération de la Palestine-Opérations spéciales (FPLP-OS). On peut dire qu’à chaque génération ou presque, une nouvelle figure tente d’en finir une bonne fois pour toutes avec cette minorité religieuse coupable de cette identité irréductible qu’il est si difficile de définir. «Si le juif n’existait pas, l’antisémite l’inventerait», écrit même Jean-Paul Sartre dans Réflexion sur la question juive, publié au sortir de la guerre et de l’Occupation, proposant ainsi de définir l’identité juive à partir du regard de l’antisémite qui l’accompagne presque ontologiquement.

L’histoire juive est faite d’enracinement et d’exils, de tragédies et de miracles. Ce peuple à la fois béni et maudit, numériquement minuscule, a traversé les empires et survécu aux plus grandes civilisations. Des pogroms aux bûchers, des massacres par balles aux spoliations, sans compter le génocide industriel qui visait leur extinction pure et simple. Un esprit malicieux dirait que si le judaïsme ne croît ni en l’Incarnation ni en la résurrection de Jésus, lui-même passe son temps à renaître de ses cendres. Un esprit romantique dirait que le judaïsme est immortel. Et quelle meilleure illustration que ce chiffre de 14 millions publié par le think-tank Jewish People Policy Institute, qui montre que le nombre de personnes de confession juive sur la planète est revenu ces dernières années à son nombre d’avant la Shoah.

Si l’on croit au sens de l’histoire, il est possible de se dire qu’elle est finalement de leur côté. Si les juifs en sont les victimes collatérales, ils en sont aussi les grands survivants. S’ils en sont les victimes, ils en sont aussi les héros. La vie, principe cardinal du judaïsme qui, à lui seul, justifie la transgression de tous les commandements divins reprend toujours ces droits. En ce jour de deuil et de chagrin, alors que la France commémore l’anniversaire de l’attentat de l’Hyper Cacher, les victimes n’ont jamais semblé aussi vivantes dans la mémoire de ceux qui respirent encore. Tout le monde connaît désormais Yohan Cohen, Philippe Braham, Michel Saada et Yoav Hattab dont chaque année, le 9 janvier, l’histoire est rappelée et la mémoire bénie. Comme le dit la fameuse expression, ils ont voulu nous enterrer mais ils ne savaient pas que nous étions des graines.

Noémie Halioua est essayiste et journaliste. Elle a coécrit Le Nouvel Antisémitisme en France (éd. Albin Michel, 2018), écrit L’affaire Sarah Halimi (éd. du Cerf, 2018) et vient de publier Les uns contre les autres – Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé (éd. du Cerf). Elle est aussi rédactrice en chef et correspondante à Paris pour la chaîne I24 News.

Source : lefigaro.fr Par Noémie Halioua

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